Bonjour,
Je vous souhaite de très beaux voyages de lectures.

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Podensac, Gironde, petit village des Graves pas très loin de Sauternes. Nous sommes dans le berceau d’un apéritif doré aux 130 ans d’histoire, grâce à un marketing à rendre humble le plus créatif des publicitaires d’aujourd’hui. 

De la Liqueur hygiénique à la Crème de cocu

C’est en 1887 que Raymond et Paul de Lillet fondent la maison familiale « Lillet Frères ». Ils sont négociants en vin fins, confiseries et liqueurs. En réalité, précise Cécile, la création de la maison remonte plutôt à 1875, date vers laquelle des factures mentionnent « Lillet-Frères : confiseurs-liquoristes Podensac-Gironde. Fabriquant de Limonade-gazeuse. Entrepôt de vins fins, eau-de-vie, cognac, armagnac, absinthe, kirsch, vermouth. Fabriquant de sirops, liqueurs, fruits confits au sirop, à l’eau de vie et au jus. » Une sorte de multinationale avant l’heure ! La maison Lillet commercialise à l’époque des produits fabriqués par ses soins, comme les liqueurs de noyaux (mélanges de noyaux d’abricots et d’amandes amères) et des liqueurs à base d’épices et de plantes : crème de vanille, de thé ou de menthe, ainsi que certaines aux noms étranges ou enchanteurs comme La liqueur de scubac (cannelle, girofle, muscade et safran) ou La liqueur hygiénique (angélique, calamus, myrrhe et cannelle).

On me montre de drôles d’étiquettes rangées dans un tiroir : La crème de pucelle, La crème de vierge, ou La crème de cocu… Et d’autres plus classiques comme les liqueurs de la fanfare ou de la Bastille, sans oublier le N’importe quoi, servi dans un café lorsque, à la question « Que prendrez-vous ? », vous répondiez « N’importe quoi ! ». La maison produisait aussi des crèmes d’ananas ou d’orange. La crème du parfait amour est réalisée à base de citron, d’orange et de coriandre, une herbe qui avait été très « hype » sous Louis XIV. Le port de Bordeaux est un lieu idéal pour les liquoristes : là convergent les cargaisons d’épices en tout genre, graines d’anis, oranges vertes, café ou cacao, ainsi que les sucres antillais. Ces importations expliquent la diversité des composants de ces nouveaux breuvages, et le sucre dont ils sont chargés leur permet de supporter les longs voyages à l’export. Les Frères Lillet commercialisaient aussi des marques de rhums, des portos et des xérès, pour n’en citer que quelques-uns. Sans oublier des vins français de la Gironde : graves, sauternes et cérons. Et nous voilà à nouveau en 1887, date de la création du fameux Kina Lillet, l’utilisation du quinquina comme principe amer du Lillet répondant aux goûts de l’époque. Il sera le premier produit dont ils ont entièrement inventé la formule, et il restera longtemps le produit leader de la maison avant d’en devenir l’unique produit. Ce qui, nous le verrons plus tard, sera déterminant pour la réussite de l’entreprise.

Et le Lillet devient IN

Sans entrer trop précisément dans les détails techniques de fabrication, sachez que le Lillet est composé à 85 % de vin. Plusieurs liqueurs y sont ensuite ajoutées, produit du mélange d’infusions, d’alcool, de sirop de sucre et d’eau distillée. À l’époque des créateurs de l’entreprise, un Lillet d’exportation - ou double quinquina - sera fabriqué spécialement pour les colonies. Les vertus combinées du vin et du quinquina font la réputation des vins dits toniques, très en vogue aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Leurs indications thérapeutiques sont même très larges : réparateur, fortifiant, digestif, reconstituant, souvent recommandé par les médecins contre la fièvre, l’anémie, ou encore la faiblesse musculaire et nerveuse ! Les frères Lillet ne sont pas les derniers informés des modes en matière de boissons. Aussi, pour séduire les femmes, ils atténuent l’amertume de la recette et commencent à communiquer sur la marque : lettres blanches ombrées de noir sur fond rouge vif. Le véritable Lillet est né ! Les deux frères sont de vrais communicants. Une fois la stabilité du produit définitivement assurée et sa qualité maintenue, nos deux compères vont concentrer tous leurs efforts sur la publicité, stratégie qui demeurera leur ligne de conduite. Nous sommes début 1900. Lillet devient un apéritif à la mode. On le déguste bien au-delà de Bordeaux : il est présent de Toulouse à Paris, mais aussi en Afrique, en Argentine, au Mexique, en Angleterre et aux Etats-Unis. Les grandes occasions, soirées d’ambassadeurs et réceptions officielles sont réussies grâce au Lillet ! Somptueuses affiches, kiosques de dégustation, plaques émaillées, éventails, toutes sortes de supports sont inventés pour promouvoir la boisson au Kina. Les affiches qui illustrent ces pages témoignent d’une énergie et d’une inventivité bien en avance sur son temps. La médaille d’or remportée en 1900 lors de l’exposition universelle de Paris renforce plus encore la marque. En 1938, l’entreprise connaît un véritable succès commercial, le marché anglo-saxon étant le plus porteur grâce au lancement du Lillet dry : un peu de Lillet avec du gin ou en cocktail.

Un succès très jet set

Les années passent. André et Marcel ont succédé à Paul et à Raymond, puis cèdent la tête de l’entreprise aux quatre fils d’André. Chaque génération s’applique soigneusement à respecter la consigne des débuts : la qualité sera toujours payante. En 1946, Lillet s'introduit complètement aux États-Unis grâce au négociant new-yorkais Michel Dreyfus qui en fait la boisson la plus branchée de New York. C’est encore lui qui inspirera la naissance du Lillet rouge en 1962. La marque remporte un grand succès dans les années 60 grâce aux campagnes de publicité dans la presse et à la radio, développées par Pierre Lillet spécialement pour les États-Unis. En 1950, la duchesse de Windsor, grand amateur de Lillet, l'introduit dans la haute société, notamment chez Fauchon puis dans certains grands hôtels parisiens comme le George V ou le Ritz. Par la suite, Lillet s'implante sur la Côte d'Azur afin de répondre à la demande américaine. Les présidents Jimmy Carter, Valéry Giscard d’Estaing ou encore François Mitterrand font partis des fans de Lillet.

Mais le marché des apéritifs devient de plus en plus compétitif. La société Lillet n’échappe ni à cette concurrence ni aux modes qui passent de plus en plus rapidement. En 1985, il s’en fallut de peu que Lillet passe aux mains des américains pour devenir Lillet. Inc. Eh bien non : un Bordelais en tombe amoureux, un soir dans un bar de Manhattan, et rachète l’apéritif préféré des New-yorkais. Bruno Borie, propriétaire d’un grand cru bordelais, entreprend de moderniser le matériel, restaure les chais et fait même revoir la recette, tout en respectant les caractéristiques originelles du breuvage. Il collabore avec l’Institut d’Œnologie de Bordeaux pour améliorer la composition du Lillet et lui donner une seconde vie. Tout est dépoussiéré : la charte graphique est modernisée, une nouvelle campagne de publicité voit le jour, et la nouvelle bouteille de 75 centilitres remplace celle d’un litre. Résultat : en 1999, Lillet devient l’une des cent premières marques vendues en France ! Et l’histoire ne s’arrête pas là, quand en 2008 la société Ricard en devient propriétaire : avec un savoir-faire de « pro », les fondateurs peuvent être rassurés, la petite bouteille a l’éternité devant elle.

Lillet est l’exemple parfait d’une marque attachée à l’histoire de la région de Bordeaux, une marque aux gènes familiaux, une marque, enfin, qui symbolise à la fois la qualité et la différence. Je terminerai cette visite par un verre de la Réserve Jean de Lillet Blanc, imaginant les Frères Lillet faisant de même après une folle journée de travail. Le temps ne semble pas avoir de prise sur ces bâtiments 1930, témoins de toutes ces inventions liquoreuses. 

Patricia Courcoux Lepic

 

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