Le domaine de Numanthia se situe à Valdefinjas, un petit village espagnol. Deux frères, Marcos et Miguel Eguren, n’y ont qu’une idée en tête : produire le meilleur vin de la région de Toro. Fondé en 1998 par la famille Eguren, native de la Rioja, le domaine est planté dans la région de Toro, au nord-ouest de l'Espagne dans la communauté autonome de Castilla y León, à proximité de la frontière portugaise. La tradition viticole y est très ancienne, certains des vignobles remontant à l'Antiquité romaine.
Après sa fondation, Bodega Numanthia fut acquis par LVMH sous l’enseigne de la collection de vins étrangers Estates & Wines en 2008, mais les plus anciennes vignes du domaine furent plantées en 1880 ! La région est traversée par le Duero, une rivière qui prend sa source dans la région de Ribera del Rouero pour devenir le Douro après avoir franchi la frontière portugaise, là où l’on trouve les vignobles qui produisent des fameux vins de Porto. Le Duero et ses affluents forment un paysage de collines découpées, entre 650 et 850 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les vignes poussent sur les plateaux ou sur les pentes de ces vallées. Sur les 8 000 hectares plantés, 5500 sont admissibles à la DO (Denominacion de Origen) Toro, appellation d’origine qui remonte à 1933.
Un vignoble d’extrêmes et de contrastes: Mais projetons-nous quelques siècles en arrière, et d’abord au Moyen Age, pour mieux comprendre la qualité de ce vignoble. À cette époque, les vins de Toro étaient très appréciés en Espagne, car leur commercialisation était encouragée par un privilège royal. C’est ainsi qu’ils furent plus tard tout naturellement embarqués à bord des flottes espagnoles, et accompagnèrent la conquête du Nouveau Monde. Christophe Colomb lui-même, qui avait chargé des vins espagnols dans ses caravelles, fut le premier surpris de découvrir, après plus de trois mois de voyage, que tous les vins embarqués étaient pourris et imbuvables, sauf un : le Toro. En effet, ces vins étaient tellement concentrés, puissants et forts, qu’ils résistaient aux longs voyages, tout comme leurs vignes au phylloxera ! Avec un climat et des sols hostiles, sans eau, balayés par les vents, les pieds de vignes indestructibles donnent aujourd’hui des vins hors du commun.
Numanthia, symbole de résistance: En remontant plus loin encore dans le temps, on découvre que le nom de Numanthia porte avec fierté une histoire de résistance hors du commun. Car ce petit village espagnol fut longtemps une sorte de « village-peuplé-d'irréductibles-Celtibères-qui-résistent-encore-et-toujours-à l'envahisseur ». Mais en 134 avant J.C, après vingt ans d'hostilités avec Rome, le consul romain Scipion Émilien donne l’ordre de détruire une fois pour toute l’invincible petit village. Après treize mois de siège, les Numantians décidèrent de brûler la ville et de se suicider plutôt que de se rendre et de devenir esclaves. Seuls quelques centaines d'habitants, épuisés et affamés, firent allégeance aux légions romaines victorieuses. Le siège de Numanthia fut ainsi relayé par des historiens romains, qui avaient admiré le sens de la liberté de ces anciens Ibères, ainsi que leur aptitude à combattre les troupes romaines. Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte, a même écrit une pièce de théâtre sur le siège de Numanthia et, plus récemment, Carlos Fuentés en a fait une nouvelle. Hélas pour les Numantians, l’histoire ne se termine pas par un immense banquet…
Des pieds de vignes centenaires: Sur une cinquantaine d’hectares, le vignoble et le chai sont installés près de la jolie ville médiévale de Zamora. Des ceps centenaires et non greffés, et un cépage unique, la Tina del Toro issue du Tempranillo que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Les pieds énormes, les rangs espacés de trois mètres et donc la densité très faible leur permettent de survivre sans irrigation sur ce sol rocailleux et argileux. Le rendement figure parmi les plus bas du monde, donnant ses arômes de fruits si particuliers… Car les grappes, plutôt grandes, donnent des raisins de petite taille, très foncés, aux tanins puissants. Des raisins particulièrement concentrés et donc riches en arômes, vendangés à la main à pleine maturité puis précieusement transportés au chai comme des bijoux : seuls les meilleurs grains sont sélectionnés pour en extraire ce que vous êtes peut-être déjà en train de boire !
Finalement, n’y aurait-il pas un peu de potion magique dedans ?
Patricia Courcoux Lepic
