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Je vous souhaite de très beaux voyages de lectures.

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Sous Louis XV, la place qui porte son nom ou Place Royale et le rond-point des Champs-Elysées sont des lieux de promenade très fréquentés, animée de guinguettes, glaciers, limonadiers et autres « baraques d’amusement » au milieu de bosquets et de bassins : il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses. C’est à cet emplacement que se trouve la modeste auberge de treize mètres sur quatre, aux murs blancs et aux volets verts, du Sieur Desmazure, qui la loue en 1791 à Pierre Michel Doyen (dit aussi « Ledoyen »), cadet d’une famille de traiteurs réputés. Ce dernier transforme rapidement l’établissement en un restaurant de qualité et attire la clientèle des Conventionnels, représentants du peuple qui siégeaient à proximité au jeu de paume du jardin des Tuileries.

Vers 1830, l'établissement, toujours propriété de la famille Desmazure, est repris par Monsieur Delange sous le nom de Café de la Surprise. En 1848 l'architecte Jacques Hittorff, chargé de l'aménagement des jardins des Champs-Élysées, le fait transférer à son emplacement actuel de l'autre côté de l'avenue.

L’architecture de Paris est alors en train de changer et de prendre le visage qu’on lui connaît encore aujourd’hui, au moins en ce qui concerne le quartier des Champs-Élysées. Il en est de même des habitudes culinaires : dorénavant les vins sont sauvegardés grâce à Pasteur, un certain Félix Potin ouvre sa première épicerie près de Montmartre, on savoure le pot-au-feu et le céleri rémoulade, et la première étiquette sur une bouteille de champagne apparaît en 1840, le premier classement des vins de Bordeaux en 1855.

Sous le Second Empire, le restaurant Ledoyen a déjà une certaine notoriété : c’est ici en effet que les duellistes viennent se restaurer avec leurs témoins, après avoir satisfait « le point d’honneur » au bois de Boulogne. Un déjeuner chez Ledoyen faisait partie du cérémonial : on raconte que le chef des cuisines observait dès sept heures du matin les Champs-Élysées et se précipitait en cuisine lorsqu’il voyait passer deux fiacres l’un derrière l’autre avec chacun à son bord trois personnes, en vue d’un retour des duellistes affamés !

En 1858, la gérance du Pavillon Ledoyen est reprise par Pierre Balvay qui remarque parmi son personnel un jeune homme plus talentueux que les autres et Bourguignon comme lui, qui se nomme Arthur Million. Il deviendra son gendre et lui succèdera plus tard.

Le rendez-vous des romanciers et des peintres

Dès le second Empire, les Américains s’entichent de la bonne adresse parisienne Ledoyen. C’est aussi sous ce Second Empire que naissent les dîners et déjeuners des penseurs pas toujours bien-pensants. Toutes sortes d’intellectuels forment des clubs ou des associations informelles et se retrouvent à table pour échanger, critiquer souvent ou s’entredéchirer parfois. C’est désormais autour d’une assiette que les idées les plus importantes sont traitées et que les décisions capitales sont prises. Ainsi, chaque cercle a son restaurant, son dîner, son maître d’hôtel et son rendez-vous hebdomadaire. C’est là que l’on peut croiser les ministres, les hommes de presse, les écrivains, les faiseurs d’opinion… Chaque premier mai, rituellement, Goncourt * déjeune chez Ledoyen avec Zola* pour l’ouverture du Salon de Peinture, le grand événement annuel artistique et populaire. L’activité intellectuelle prospère autour des banquets et des dîners. Ledoyen accueille surtout les artistes-peintres, académiques ou dérangeants. Chaque clan s’interpelle bruyamment d’une table à l’autre, au milieu de l’agitation des serveurs. Degas, Monet et Cézanne font de Ledoyen leur lieu de rendez-vous favori tout comme le font leurs défenseurs passionnés que sont Zola, Clémenceau ou Anatole France. Avant sa mort en 1913, Arthur Million transmet le restaurant à son gendre, Albert Kieffer.

À l’époque de l’Exposition universelle de Paris, Ledoyen est placé au seuil de l’exposition : tout le gotha diplomatique s’y rencontre pour disserter sur les frontières de la nouvelle Europe. Les pactes se font et se défont au gré des dîners et parfois des affinités culinaires. Après la Grande Guerre, Ledoyen, toujours à l’avant-poste des esprits et des idées, reçoit les nouveaux princes de la politique et de la diplomatie. Le guide Michelin, né quelques années plus tôt, adopte en 1926 sa formule définitive et devient la bible des nouveaux épicuriens. Dans ce climat, le restaurant demeure le temple de la gourmandise. Preuve en est le dîner en 1934 des quatre-vingts membres du prestigieux Saint-Hubert Club Médical de Paris dont les sommités de l’Ecole de Médecine dégustent au cours du repas vingt-huit vins différents : Pouillé fumé blanc carafe 1933, Blanc de blancs 1933, Chavignol 1933, Meursault-Charmes 1929, Mercurol 1929, Hermitage blanc 1929, Fleurie « Clos de la Roilette » 1921, Moulin à Vent « Garquelins » 1929, Monthélie 1929, Hermitage blanc 1929, Abbaye de Morgeot 1929, Beaune « Marconnets » 1925, Volnay 1923, Corton « Bressandes » 1929, Châteauneuf-du-Pape « Clos des Papes » 1923, Châteauneuf-du-Pape « Château Fortia » 1929, Sauternes Château de Reyne Vigneau « crème de tête » 1929, Champagne brut Pol Roger 1928, Champagne Piper-Heidsieck brut 1929, Champagne brut Devaux 1925, Champagne Devaux « Grand Crémant » et Grande Champagne 1904. La part de Ledoyen dans l’histoire du goût ressemble parfaitement à cette litanie de millésimes volatiles aux cépages vénérés : un lieu unique pour des moments uniques.

Patricia Courcoux Lepic

 

 

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